Septembre 1991, Croatie

Septembre 1991, Croatie

J’avais candidaté pour une formation professionnelle de photographe début 91. Peu de places à Paris, je vivais en Charente. Dossier, lettre de motivation, refus de l’Institut de l’Audiovisel. À force de persévérance, je finis par être convié aux derniers tests de sélection. Il faudra que je présente mon book. Idée saugrenue mais soit, pourquoi pas. J’avais réuni quelques photos d’architecture, de Berlin Est, quelques images de Gitans qui vivaient dans un campement, mais je pensais que ce n’était pas suffisant. Je voulais des photos dont je pensais qu’aucun autre candidat ne montrerait.

Un matin, j’entends à la radio que Vukovar, ville croate, est probablement prise au piège de l’armée populaire yougoslave, après que la Croatie ait proclamé son indépendance en mai. 

Je pose une semaine de congé et démarre mon vieux Mercedes 207 pour y aller faire des photos. Je prends le seul appareil photo dont je dispose, achète 5 films 36 poses N&B et, sans rien dire à personne, file plein Est avec une vieille carte Michelin, cap sur Vukovar, inconscient. 

Frontière italo-yougoslave passée en baratinant un peu, je me fais refouler à la suivante, entre la Slovénie et la Croatie. Je contournerai le poste frontière et traverserai de nuit, tous feux éteints par les chemins forestiers.

Le lendemain soir, après avoir contourné de la même façon une dizaine de checkpoints qui me refoulaient, nous arrivons, mon camion et moi, à Vinkovci, à 15 km de Vukovar. Là, pas moyen d’aller plus loin, c’est la ligne de front.

Je colle le Merco au plus près d’un mur pour m’abriter des tirs d’en face et vais à la pèche aux infos à l’hôtel Slavonija, seul établissement encore ouvert. Il deviendra le QG des journalistes qui arriveront le lendemain matin. J’étais très fier à l’époque d’avoir été plus rapide que l’équipe de la télé française qui, me demandant pour qui je bossais, eu un petit moment d’incompréhension quand je leur ai dit que j’étais là pour faire mon book photo, du haut de mes 25 ans. 

On soignait les blessés dans le gymnase de la ville où un bloc opératoire avait été installé ; le chirurgien pleurait, il ne pouvait pas sauver tout le monde.

Les hommes et les femmes fourbissaient leurs armes, pas encore conscients du massacre à venir.

La police m’a arrêté alors que je photographiais les vitrines pillées mais je me suis évadé, profitant d’un moment d’inattention de mes geôliers. 

Après 3 jours, ça devenait assez chaud et j’ai fait demi-tour tant que je pouvais encore. 

En rentrant, je suis passé directement donner les photos à la Charente Libre, merci Jacques, qui a fait un ou deux papiers sur le sujet. 

Comme je l’imaginais, aucun des postulants apprentis photographes n’avait ce genre de photos et il me plait à croire que ce reportage n’y a pas été pour rien quand j’ai enfin été accepté à Paris pour commencer à apprendre mon métier.